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15 Mar 2016

Les tendances de l'autoédition

Cet article a été rédigé en réaction à la publication des résultats d’une étude réalisée auprès de 926 auteurs indépendants en France, par Book On Demand (BOD) en association avec Edlilivre.

http://www.idboox.com/etudes/les-tendances-de-lautoedition-en-france/

 

1. « Pour 87% des répondants l’écriture et un loisir, 57% annoncent que c’est leur occupation principale et 31% considèrent que l’écriture est une source de revenus. »

Cette notion de « loisir » reste sujette à débat. J’imagine que les 57% mentionnés par BoD et Édilivre, qui annoncent que l’écriture est leur occupation principale alors que pour 87%, elle est un loisir, ont peut-être voulu mentionner qu’elle était leur hobby principal.

Alan Spade a évoqué également la piste possible des retraités, pour qui un loisir peut vraiment être considéré comme une occupation principale…

Il faudrait avoir plus d’informations sur ces données.

 

Sur les 130 auteurs qui ont participé à mon enquête (publiée en mars 2015 : http://charlie-bregman.iggybook.com/fr/l-autoedition-pourquoi-comment-pour-qui/), plus de la moitié ont déclaré consacrer plus de 10 jours par mois à leur activité d'autoédition, avec 26 auteurs l'exerçant à temps complet (20%). Je rappelle que le formulaire que j’avais publié en ligne exigeait une expérience de plus d’un an en autoédition, afin d’écarter le plus possible les novices en la matière, qui auraient pu apporter une vision erronée des différents points abordés.

Mon objectif n’était pas de dresser un bilan statistique (pour cela, il aurait fallu bénéficier d’un échantillon suffisamment dense et représentatif), mais bel et bien un compte-rendu des diverses explorations menées par les auteurs, avec leurs attentes, leurs obstacles, leurs solutions et stratégies, leurs résultats, et donc une analyse de l’évolution envisageable de l’autoédition au sein de l’industrie du livre.

Les chiffres sont là pour indiquer les tendances qui se dégagent du groupe interrogé, mais encore faut-il questionner les différents éléments du groupe pour mieux les connaître (ce que j’ai voulu faire dans une première partie « Autoédités, qui êtes-vous ? »).

Au vu des réponses obtenues, je pense que mon enquête avait été majoritairement suivie par une catégorie d'auteurs dont l’intention était d’agir plus en "entrepreneurs" qu’en “dilettantes", avec, du coup, une distinction claire entre le simple fait de « s’auto-publier » et l’objectif idéal de faire les choses aussi bien qu’un éditeur (puisque dans « autoédition », il y a surtout « édition »).

 

2. « Les auteurs choisissent l’autoédition car ils aiment le contrôle qu’ils ont sur le contenu publié (95%). »

Mon enquête indiquait un chiffre équivalent : 95% des auteurs interrogés reconnaissaient que la liberté et l’indépendance constituaient les principaux avantages de l’autoédition.

Par contre, cette liberté n’avait réellement motivé leur choix de l’autoédition que pour les trois quarts d’entre eux. Ils la considéraient comme l’avantage numéro 1, mais pour un bon nombre d’entre eux, l’autoédition avait été plutôt envisagée comme une stratégie à moyen terme en vue de se faire éditer de manière traditionnelle :

- 17% ont répondu vouloir se constituer un lectorat avant de démarcher un éditeur

- 25% vouloir gagner en visibilité afin qu’un éditeur me contacte

 

3. « 92% estiment que l’autoédition est un processus simple et 85% apprécient le contrôle sur le droit d’auteur. »

Dans mon enquête, 1 auteur sur 4 considéraient l’exploitation des droits comme l’un des principaux avantages de l’autoédition, un avis placé derrière les royalties, la flexibilité et la diversité des tâches, et la liberté et l’indépendance.

La simplicité de l’autoédition apparaissait comme toute relative dès le moment où l’intention était de dépasser la satisfaction personnelle de voir son livre matérialisé (auto-publié) :

- la promotion et le marketing constituent un problème pour 83% d’entre eux

- le manque de soutien des libraires : un problème pour les deux tiers d’entre eux

- le manque de curiosité des lecteurs : un problème pour 42%

- et la correction : un problème pour 35%

 

4. « 54% aiment la proximité avec le lecteur et 51% pensent qu’ils gagnent plus que s’ils passaient par un éditeur traditionnel. »

Mon enquête ne posait pas directement la question de la relation avec le lecteur. Pour autant, il semblerait que la grande majorité des auteurs avec qui je suis en contact apprécient vraiment le fait de pouvoir être directement en contact avec leurs lecteurs.

Concernant les revenus, 5 auteurs parmi 107 interrogés dans mon enquête (23 d’entre eux avaient souhaité ne pas s’exprimer sur ce point) avaient indiqué des revenus supérieurs à 1000 € par mois (avec 3 auteurs indiquant des revenus supérieurs à 5000 € par mois).

À noter que ces informations semblaient cohérentes au vu de leurs positionnements réguliers parmi les meilleures ventes numériques, mais qu’il serait intéressant de savoir comment ces chiffres ont pu évoluer depuis un an.

Je pense que la comparaison entre les revenus des autoédités et ceux des auteurs publiés par un éditeur devrait être permise à une seule catégorie d’auteurs autoédités : les auteurs hybrides, qui baignent à la fois dans l’autoédition et l’édition traditionnelle.

En effet, pour les autres, je ne suis pas certain que tout le monde ait une idée bien précise de ce que l’on peut réellement comparer. Par exemple, un auteur indé pet obtenir jusqu’à 70% de royalties sur certaines plateformes de distribution (plus précisément environ 64% une fois la tva et le coût forfaitaire de téléchargement déduits, chez Amazon, par exemple), au lieu de 8% en général avec un éditeur : ce qui pourrait laisser imaginer qu’il est facile de gagner plus en autoédition. Mais il est évident qu’un auteur inconnu qui n’écoule qu’une poignée d’exemplaires de son ouvrage aura des résultats inférieurs à ceux d’un auteur que son éditeur aura réussi à promouvoir efficacement.

Personnellement, j’aurais tendance à fortement conseiller le choix de l’autoédition pour les auteurs d’un premier roman dans un but stratégique : pouvoir ensuite contacter un éditeur, avec une expérience à l’appui, un lectorat déjà conquis et une bonne maîtrise des réseaux sociaux pour la promotion.

Il faut savoir qu’un premier roman constitue vraiment un pari risqué pour un éditeur : en moyenne, en France, il peinera à s’écouler à plus de 800 exemplaires (chiffres revus à la baisse par Gallimard il y a quelques mois, avec une tendance plutôt située aux alentours de 500 à 600). Même si un succès peut toujours arriver, proposer un contrat à un jeune auteur que personne ne connaît constitue donc surtout un pari sur le long terme.

Ensuite, il faut également préciser qu’au moment où le livre ne se vend plus, l’auteur devra renégocier l’achat de ses droits avec son éditeur avant de pouvoir redonner une vie à son ouvrage.

Rien qu’en France, 100 millions de livres sont détruits au pilon chaque année. Cette démesure de l’industrie du livre reste un profond tabou dans notre société, reléguant la production littéraire au rang de simple produit de consommation.

 

5. « Genre littéraire : 71% publient de la littérature générale (avec une forte proportion pour le roman érotique et la poésie), 31% des livres spécialisés et 15% du livre pratique. »

Les auteurs interrogés dans mon enquête étaient 12% à écrire des livres érotiques, et 15% de la poésie. Les genres qui se démarquaient étaient différents :

-       44% de romans et « littérature contemporaine »

-       39% de « science-fiction, fantasy et terreur »

-       23% de « livres policier et suspens »

-       17% de « récits et témoignages »

Les livres spécialisés représentaient des minorités (cuisine, politique, dictionnaires, philosophie, science et médecine, santé, développement personnel, informatique, ésotérisme, etc.)

 

6. « Temps passé à écrire : 35% des auteurs passent plus de 10 h par semaine à écrire et 13% moins d’une heure. »

Sur les 130 auteurs de mon sondage, plus de la moitié consacrent plus de 10 jours par mois à leur activité d'autoédition, avec 20% des auteurs l'exerçant à temps complet (26 auteurs).

Par ailleurs, 70% des auteurs interrogés ont déclaré consacrer plus de 4 jours par mois, mais cette question concernait l’autoédition dans sa globalité, et non seulement l’activité d’écriture…

 

7. « 60% passent moins d’une heure par semaine à promouvoir leur livre, 24% de 1 à 4 heures, 9% de 5 à 9 heures et 7% plus de 10 heures. Et ils investissent peu : 29% ne dépensent rien, 39% moins de 100 euros 11% de 100 à 199 euros et 21% plus de 200 euros ! »

Mon enquête ne posait pas la question du temps passé à promouvoir les livres, mais la promotion et le marketing étaient considérés comme un problème pour 83% des auteurs interrogés.

Concernant les investissements, je n’ai pas non plus d’informations concernant les montants. Par contre, je sais que leurs investissements concernent surtout :

-       recours à un coach ou conseiller littéraire

-       relecteur(s) (le plus souvent gratuitement, notamment via des échanges de services entre auteurs, mais parfois en payant)

-       correcteur(s)

-       rédaction du résumé de leur ouvrage

-       graphiste (couverture)

-       formatage numérique

-       site internet

-       copywriter (rédacteur de page de vente)

-       imprimeur (parfois, lorsqu'il s'agit d'effectuer un stock de livres et de ne pas avoir recours aux services d'impression à la demande)

-       traducteur (12% des auteurs interrogés avaient au moins un de leurs ouvrages traduit en anglais…)

 

8. « Quel format ? 55% des indépendants publient en version papier et ebook, 40% uniquement ne papier et 5% qu’en numérique (ce dernier chiffre est assez étonnant car bien évidemment les auteurs passant par KDP ou Kobo ne sont pas ou peu pris en compte étant donné le panel). »

L’autoédition, si elle est facilitée par le format numérique, garde effectivement un profond intérêt pour le format papier.

Les 130 auteurs interrogés dans mon enquête étaient majoritairement concernés par l’édition numérique. Seulement 14% d’entre eux ne publiaient qu’au format papier.

 

9. « Du côté des lecteurs (338 répondants), 58% déclarent lire des ebooks. 77% connaissent le concept d’autoédition et 65% déclarent avoir déjà lu un livre autoédité. Pour 77% d’entre eux l’expérience de lecture fut positive. »

De nombreux lecteurs reconnaissent être positivement surpris par les ouvrages autoédités (parfois, les auteurs indés font face à de profonds a priori, voire à un certain dédain clairement exprimé). Désormais, les blogueurs et booktubeurs se montrent un peu plus curieux vis-à-vis des ouvrages autoédités, semblant prendre conscience que ce qui fait la qualité d'un livre, c'est son contenu, et non son étiquette…

Les données de BoD et Édilivre s'avèrent très encourageantes : la meilleure façon de vendre un livre ne reste-t-elle pas le bouche à oreille des lecteurs ?

 

10. « Du côté des libraires (88 répondants), 75% déclarent proposer des livres autoédités. (pas de précision s’il s’agit de librairies en ligne ou physiques). 43% auraient déjà organisé des séances de dédicaces avec des auteurs indépendants. 90% ne sont pas opposés à proposer aux clients des livres autoédités à condition qu’ils soient référencés par un réseau de type Dilicom (pour faciliter le passage de commandes). Les libraires proposent des pistes pour améliorer la visibilité des indés : 65% voudraient de meilleures offres commerciales, 57% un contenu de meilleur qualité, 50% une meilleure mise en page, 47% un meilleur référencement et 41% une meilleure connexion logistique. »

Là aussi, cela traduirait une tendance à un meilleur accueil réservé aux indés, ce qui était loin d’être le cas il y a un an en arrière, lorsque les deux tiers des 130 auteurs interrogés pour mon enquête considéraient que le manque de soutien des libraires, autres institutions culturelles et différents médias, représentait un vrai inconvénient de l’autoédition.

Il y aurait donc fort à parier pour qu'une place de plus en plus importante soit donnée à l’autoédition dans le milieu du livre, dans les années à venir. Et si on se lamente parfois devant le constat que les Français préfèrent écrire et (tout) publier plutôt que de lire, on peut se demander s'il ne s'agit pas d'un phénomène de transition qui ne finira pas, au final, par relancer chez eux le goût de la lecture des autres.


[Image disponible sur : http://www.youscribe.com/catalogue/tous/litterature/creation-litteraire/infographie-bod-autoedition-2016-2707783 ]