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11 Dec 2015

L'auto-édition, c'est quoi ?

Afin de rapidement lever le voile sur certains malentendus, permettez-moi tout d’abord de rappeler ce qu’est exactement l’auto-édition (que l’on peut aussi écrire « autoédition »).

Lorsqu’un éditeur décide de publier un manuscrit, il lui est donné la possibilité de proposer à l’auteur deux types de contrat très différents :

• le contrat d’édition à compte d’éditeur, où l’éditeur se comporte comme un véritable producteur littéraire en proposant ce qu’on appelle un à-valoir (acompte délivré à l’auteur à la signature du contrat) et en assumant pleinement la part de risques liée aux dépenses nécessaires destinées à fabriquer et commercialiser le livre,

• ou le contrat d’édition à compte d’auteur, où l’auteur est alors plus ou moins clairement invité à participer aux frais de l’éditeur (avec souvent de nombreux abus recensés, pouvant aller jusqu’à l’escroquerie pure et simple avec disparition de l’éditeur dans la nature), et que les anglais appellent « Vanity Press » (une forme d’édition qui profite de la vanité des auteurs)

L’auto-édition, souvent confondue à tort avec l’édition à compte d’auteur, constitue pour un auteur une troisième manière de publier un ouvrage, en lui permettant alors d’endosser lui-même le costume d’éditeur.

Ainsi, pour la plupart des gens aujourd’hui, malheureusement, un auteur auto-édité, c’est un auteur qui a décidé de publier son livre tout seul sans rien demander à personne… et l’histoire s’arrête là.

Mais de la même manière que l’on différencie les bons éditeurs des mauvais en s’intéressant à ce qu’ils sont capables d’effectuer en plus du travail de publication, un auteur auto-édité n’est pas simplement un auteur auto-publié (son travail ne s’arrête pas à la publication).

UN AUTEUR AUTO-ÉDITÉ N'EST PAS UN AUTEUR AUTO-PUBLIÉ.

En effet, un vrai travail d’auto-édition consiste a minima à :
• écrire le livre (casquette d’auteur),
• le (faire) relire et le (faire) corriger (travail préalable d’édition),
• le publier (auto-publication),
• s’activer à le faire connaître (promotion),
• le mettre en vente (commercialisation),
• assurer son acheminement jusqu’aux lecteurs (distribution),
• puis écrire d’autres livres !

Et c’est justement dès le deuxième point que se construit toute la méfiance envers les ouvrages auto-édités : qui a fait, et comment a été fait le travail de relecture et de correction ?

Auparavant, toute maison d’édition sérieuse avait recours à trois correcteurs différents pour un seul manuscrit. Pour des raisons sans doute liées aux coûts que cela implique, cette précaution ne semble plus forcément être respectée. Des coquilles (pour utiliser un terme plein de diplomatie) se glissent en effet de plus en plus fréquemment parmi les nouveaux livres publiés. La version numérique du prix Goncourt 2011 (le roman d’Alexis Jenni, L’Art français de la guerre, publié par Gallimard) avait été publiée avec une bonne dizaine de « coquilles »… qui avaient été corrigées par les pirates eux-mêmes. (Inutile de relire cette dernière phrase, vous avez bien lu.) Par ailleurs, bon nombre d’entre elles, et notamment des fautes de conjugaison qui ne relèvent aucunement de l’emploi du subjonctif imparfait qui tend à devenir un peu obsolète, par exemple, figuraient également dans la version papier. J’imagine que de nombreux lecteurs se sont probablement étouffés en lisant des phrases comme « ils se rinçèrent la bouche de vin », « nous nous efforçions de vivre moins », « comment nous plaçerons-nous » (effectivement, c’est une question que peuvent se poser ces correcteurs qui avaient manifestement un problème avec la cédille), ou « à l’extrémité des ligne de transport » (oups, il manque un s), « ils mangaient des nouilles » (mais oui, bien sûr, mais estimons-nous heureux, on a échappé au pire si la coquille s’était glissée dans les nouilles), « tu ne va pas t’y mettre aussi » (à l’orthographe ?), « quand tout ceux qui ont vu » (je vois bien, oui !), « tu tourne le dos » (et moi je tourne de l’œil !)…

Oui, je sais, ça fait mal. Le mythe éditorial en prend un coup.

Mais je ne pouvais pas ne pas mentionner cette anecdote incroyable, qui permettra de réfléchir au degré d’exigence que l’on voudrait imposer aux auteurs auto-édités.

Car c’est évidemment sur cette brèche de la qualité orthotypographique que se bâtissent les meilleures argumentations, puisque oui, désormais, grâce à l’auto-édition, tout le monde sans exception peut effectivement publier (rendre public), n’importe quoi et n’importe comment, et ce d’autant plus facilement grâce à l’extrême rapidité des nouveaux moyens de publication numérique.

TOUT LE MONDE PEUT DÉSORMAIS PUBLIER TOUT ET N'IMPORTE QUOI. OUI.

L’auteur qui effectue le « choix » de l’auto-édition (est-ce vraiment un choix, l’enquête y répondra plus loin) prend donc le risque de faire passer ses ouvrages à l’arrière plan d’une audace qui sera généralement assimilée, dans le meilleur des cas, à de l’inconscience, ou alors, ce qui est probablement pire, à une formidable démonstration d’impertinence.

Car dans l’esprit collectif aujourd’hui, s’auto-éditer, ce n’est ni plus ni moins qu’un moyen de s’autoproclamer auteur.

Avec un livre auto-édité, on s’octroie un « titre d’auteur » un peu comme un dictateur s’emparerait du pouvoir par un coup d’état.

On n’est pas un « simple » blogueur qui publierait ses textes sur un blog.

Là, c’est différent. On touche à l’un des symboles de la culture (le livre), et ce qui pourrait faire office de sacrilège pour certains sera rapidement assimilé à un acte de vandalisme pour d’autres.

Avec un livre auto-édité, on s’introduit en plein cœur du royaume culturel par une entrée de service, sans invitation ni passe-droit, on se moque royalement des règles de bon usage, on se fraye un chemin parmi la meute du mieux que l’on peut, et on se couronne empereur de la littérature avant même que le moindre correcteur ait posé ses yeux d’expert sur la première phrase de l’ouvrage en question.

Ce portrait peu flatteur, qui ne manquera sans doute pas de faire sourire les principaux opposants à l’auto-édition, a pour but de reconnaître en toute objectivité qu’il peut y avoir effectivement, parmi les « auto-édités », des gens spécialisés dans la publication de contenus épouvantables, et chez qui le simple fait de « fer dis phôte d’ortograffe tout les trois maux » pourrait facilement être considéré comme une véritable déclaration de guerre à nos plus grands académiciens.

Mais derrière ces préjugés faciles, ces généralités désastreuses et ces caricatures grossières, je pense qu’il est temps d’élargir le débat à une prise en considération un peu plus juste d’un certain nombre d’auteurs plus sérieux, qui ont probablement toute leur place dans le monde des livres, et qui peuvent d’ores et déjà se féliciter d’avoir conquis un lectorat bien au-delà du cercle restreint de leur entourage.

Je crois en effet qu’il faut en finir avec cette croyance fausse et malsaine selon laquelle un auteur pourrait facilement s’imposer sur la scène culturelle avec un ouvrage absolument mauvais.

Les lecteurs peuvent-ils réellement manifester de l’intérêt pour rien ?

Au-delà des polémiques récurrentes au sujet de ce qu’est un bon livre, et si un livre commercial peut vraiment être considéré comme tel, ne doit-on pas laisser aux lecteurs le pouvoir de choisir les ouvrages qui leur correspondent le plus ?

Internet n’a-t-il pas au moins ceci de juste que les avis positifs ou négatifs se propagent impartialement de la même manière ?

Si un ouvrage honteux parvenait à s’extraire, comme par miracle, du petit cercle de connaissances de l’auteur lui-même, des avis plus objectifs ne se chargeraient-ils rapidement de reléguer ce torchon aux oubliettes du circuit de distribution ?

La vérité, c’est que :

ON NE DEVIENT PAS UN AUTEUR PARCE QU'ON PUBLIE UN LIVRE.
ON LE DEVIENT PARCE QU'UN CERTAIN NOMBRE DE LECTEURS L'ONT APPRÉCIÉ.

 

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Extrait de L'AUTO-ÉDITION POURQUOI COMMENT POUR QUI, Charlie Bregman

Disponible au format broché au prix de 9.50€

Ou en format numérique à 3.99€.

Toutes les informations et liste des points de vente sur ce site, sur la page consacrée à cet ouvrage :

http://charlie-bregman.iggybook.com/fr/l-autoedition-pourquoi-comment-pour-qui/