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18 Sep 2015

Le numérique et la conquête des gens qui ne lisaient plus

Ce n'est que depuis l'automne dernier que j'ai redécouvert le plaisir d'écrire des nouvelles.
"Redécouvert" parce que c'est par le biais de ce genre très particulier que j'avais pourtant commencé à écrire, à l'âge de 13 ans. Notre professeur de français nous avait tous embarqués dans la lecture d'un recueil de nouvelles de science-fiction sur le thème des voyages dans le temps (*), et en fin d'année, elle avait invité ceux qui le désiraient à plancher sur ce thème. Pour la première fois, comme le devoir n'était pas noté, comme tous les conseils de classe étaient terminés, je lâchais prise sur les normes, les contraintes et la peur du hors-sujet, et je lui rendis une copie de 16 pages… qu'elle conserva :-)
(*) La grande anthologie de la science-fiction : Histoires de voyages dans le temps, le Livre de Poche.
 

Depuis plusieurs mois, donc, la nouvelle est un genre littéraire que j'explore dès que je le peux, dans une collection que j'ai dernièrement renommée Nouvelles évasions.

Après des nouvelles fortes en émotion, comme Amour impossible et Dernier élément, j'ai exploré un mélange de genres entre le polar et l'humour avec Une famille sans histoire, et renoué avec l'humour (un peu vache) avec Saint-Valentin premier cru.

Mais le contenu de ces nouvelles n'est pas l'objet de ce billet.
 

Pourquoi est-ce que la nouvelle est un genre intéressant pour un auteur ?

La nouvelle est un genre particulièrement formateur pour un auteur. Dès le début, elle l'oblige à ne se soucier que des effets qu'elle produira sur le lecteur. Impossible de n'écrire que pour soi en écrivant une nouvelle. Il n'y a pas de dispersion possible, pas de futilités autorisées. L'attention du lecteur doit être permanente. À aucun moment on ne peut se permettre de le laisser décrocher.
Dans un roman, ce n'est pas la même chose. On ne doit évidemment pas décevoir le lecteur non plus, mais la marge de tolérance est plus importante. On peut développer certains détails, se laisser aller au plaisir de la description ou se permettre certaines digressions, car les lecteurs habitués aux romans aiment vraiment lire. C'est un fait.
Et c'est là que la publication numérique change la donne.

Car la publication numérique ne s'adresse pas aux mêmes lecteurs.

Au delà de la petite guéguerre "livre papier" versus "livre numérique" qui ramène systématiquement le prétexte insolite de l'odeur du papier sur le tapis, je crois qu'il est préférable de simplement ouvrir les yeux sur le fait que les livres numériques amènent à la lecture des gens qui en étaient a priori dégoûtés.
Le système scolaire, avec tout son lot de lectures imposées, d'analyses de textes parfaitement indigestes pour les non-littéraires, a sans doute fait plus de mal à l'industrie du livre que de bien. Ça, personne n'ose le dire.
Et cela est encore plus vrai chez les hommes, car il faut le reconnaître, ce sont les femmes, qui lisent le plus.

Le magazine Livres Hebdo a publié à l'occasion du Salon du Livre de Paris en mars 2014, une étude exclusive intitulée "Les nouveaux lecteurs", réalisée par Ipsos et avec le soutien du cercle de la librairie.
En dehors du fait que l'étude annonce une chute de 5% du nombre de lecteurs en 3 ans seulement, il apparaît qu'il y aurait une différence entre le lecteur de livre papier et celui de livre numérique.
En effet, si le profil type du lecteur "papier" correspondrait à une femme âgée en moyenne de 46 ans et sans enfants de moins de 15 ans, le lecteur type "numérique" serait en revanche plutôt un homme âgé de 40 ans environ.

Est-ce exact ?

Ce que j'ai pu observer depuis que je me suis lancé dans l'autoédition sur Amazon, c'est que certaines personnes qui avouaient ne jamais ouvrir un livre de toute l'année sont finalement (re)venues à la littérature grâce à la lecture sur écran.

Et ça, c'est vraiment la bonne journée du jour (même si elle n'est pas du tirage de ce matin) !

Qu'il s'agisse de lire sur un ordinateur, sur une tablette ou un smartphone, tous ces découragés de la lecture ont finalement succombé à la curiosité de la lecture numérique, et ce, à mon avis, pour deux raisons principales :

- le prix tout d'abord : un livre numérique, surtout s'il s'agit d'un ouvrage auto-édité, est beaucoup plus abordable qu'un livre papier (sans parler de tous les ouvrages promotionnels gratuits)

- le format surtout : les livres numériques ont permis de relancer la mode du format court, ce qui peut attiser une certaine curiosité auprès des personnes à qui la simple idée de lire un roman de 600 pages donne des sueurs froides. En effet, au delà des petits guides pratiques en tous genres (partage d'un savoir, développement personnel, etc.) , le numérique a permis le grand retour des romans feuilletons (séries) et des nouvelles à chute…

 

En effet, à l'instar du petit écran, la série a de l'avenir devant elle. En autoédition, l'idéal étant de pouvoir vivre de ses écrits, publier un projet au fur et à mesure peut effectivement être une bien meilleure stratégie que de publier directement un premier roman de 500 pages. (Sans compter l'effet boostant d'avoir une deadline qui revient régulièrement pour la publication de chaque épisode).

Des auteurs comme Jean-Philippe Touzeau (auteur de la série "La femme sans peur"), par exemple, exploitent ce filon avec beaucoup de succès depuis déjà quelques années. On peut également citer la collection "Pulp" des éditions La Bourdonnaye, qui a recruté ses auteurs parmi des indés avec qui je suis en lien depuis plusieurs années : Marie Fontaine (Terra Divina), Chris Simon (Brooklyn Paradis)…

Pour ma part, si je n'ai pas exploité ce procédé de publication lors de la sortie numérique de mon premier roman "Vivement l'amour" en 2012, c'est malgré tout comme ça que je l'ai écrit, sur un blog, au rythme de 2 à 3 épisodes par semaine sans exception, quelques années plus tôt, tenu par mon engagement auprès de l'illustrateu Jepeh, avec qui je collaborais, mais surtout auprès de plusieurs centaines de lecteurs qui revenaient sur le site tous les jours.

Si vous le pouvez (en tout cas si vous vous lancez dans l'autoédition et que personne ne vous connaît encore, car une fois que vous avez acquis une certaine visibilité, les choses sont différentes), je vous invite donc à penser "série" dès le processus d'écriture… et de l'exploiter également au moment de la publication. Des sites comme Wattpad, monBestSeller, etc. permettent de partager gratuitement ses écrits avec une communauté de lecteurs assez conséquente. La stratégie est doublement intéressante : d'une part, vous pouvez corriger le cap ou peaufiner votre premier jet en fonction des réactions "en live" de vos lecteurs, et d'autre part, au moment de la sortie de votre livre, vous avez déjà un fan club prêt à vous suivre.
 

Bon à savoir pour un livre numérique qui s'adresse à des lecteurs qui n'aiment pas les livres papier : un bon livre numérique est un livre de 60 à 80 pages en moyenne. Pas plus.

Et si possible pas cher (genre 2,99 € pour le prix d'appel sur Amazon si vous voulez toucher 70% de royalties, ou carrément 0,99€ si vous tenez à vous faire connaître avant de toucher le pactole, car vous ne toucherez que 30% environ de la somme).

À partir de 100 à 120 pages, vous vous adressez déjà à des lecteurs plus expérimentés.

Si vous voulez toucher un lectorat nouveau, si vous voulez participer à la reconquête de ces lecteurs que le système scolaire a manifestement laissé sur le banc de touche, écrivez donc du court !

Le court est dans l'ère du temps. Tout le monde court après le temps, plus personne ne peut se permettre de perdre son temps. Si dès les premières pages, votre lecteur s'ennuie, il s'en ira. Si dès le départ, on lui annonce que le livre contient 700 pages, et surtout si c'est un homme qui aime le sport, les jeux videos, ou qui a du mal à trouver cinq minutes chaque jour pour prendre du temps avec ses gosses, alors une chose est sûre : votre livre n'en fera pas un lecteur !

 

Alors qu'est-ce qu'on fait ? On profite de l'autoédition et du format court pour conquérir un nouveau lectorat, ou bien on se cache pendant deux ans sans rien dire à personne pour revenir avec un bestseller de 700 pages qui sera propulsé par les fanatiques de lecture ?


Sources :
Le nombre de lecteurs baisse de 5% en 3 ans en France (Boursorama)
Étude IPSOS sur les nouveaux lecteurs
Infographie : comment les Français achètent et téléchargent leurs ebooks
Photo source YouBoox