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22 Nov 2017

En attendant que les roses s'ouvrent à nouveau…

Dans son jardin, ce matin, l’automne s’est invité. Les feuilles des arbres tapissent les terres refroidies, et les pétales des roses ont livré leurs plus belles couleurs endormies au pied de ces buissons qui les ont fait naître.

Le jardinier s’avance, les doigts prudents d’un côté et le sécateur de l’autre, et s’active à tailler ces fleurs séchées qui lui ont tant donné à voir et à respirer pendant toute l’année.

Il a le visage grave, l’œil empreint d’une indicible tristesse que seules les roses amoureuses savent lui détecter.

Il leur rend hommage, à sa façon, commémore ces puissants moments de grâce et d’harmonie dont la dernière saison va le priver.

Il se saisit de leurs dépouilles avec tendresse, inhale une dernière fois ce doux parfum qui n’existe désormais plus que dans les tréfonds de sa mémoire, et se résout à livrer au fond de son gros sac en toile de jute ces douces offrandes qui lui manqueront tant.

L’hiver approche. La neige n’est plus bien loin. Le manteau blanc viendra bientôt tout recouvrir, sous la domination du temps qu’il restera à attendre, et qui demeurera le seul grand maître de la cérémonie.

Mais derrière ces adieux résignés, le jardinier est loin d’avoir le cœur en exil. Derrière chacun de ses gestes parfaitement exercés, c’est le retour du printemps, auquel il se prépare : chaque année, un plant d’une autre variété lui apporte ici une poignée de fleurs que nul autre ne parvient à égaler.

Au bout de cette tige aux épines gigantesques, qui l’a souvent profondément griffé et qu’il tient malgré tout entre ses doigts nus, fermes et attentionnés, il y a une rose magnifique qui ne sait pas encore qu’elle existe.

Au retour des beaux jours, lorsqu’elle aura fait le deuil de ce long et glacial hiver, elle se gonflera doucement du trésor inestimable que la terre lui aura chuchoté. Elle prendra conscience de sa nature et de son évidence, et elle prendra alors tout son temps pour se faire belle, harmoniser ses couleurs, ses parfums, son volume et son éclat.

Le jardinier sera patient.

Tous les jours, il viendra vérifier que cette naissance se poursuit, mais sans jamais chercher à la précipiter.

Vouloir précipiter la magie des talents est la seule façon de les briser.

Et puis enfin, un matin, au moment où la rosée perle encore sur les jeunes feuilles encore fermes du printemps, d’abord hésitante, encore un peu timide, elle commencera à déployer cette splendide robe rouge aux reflets dorés et violacés.

Doucement, elle envahira tout l’espace, illuminera tout un jardin, et au moment où le jardinier franchira le seuil de sa maison, lui manifestera cette présence tant espérée depuis ces longs mois de silence : sa propre raison d’être, chargée de cette unique essence de bonheur qu’il incombait à elle seule de pouvoir lui apporter.