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25 Apr 2016

À quoi ça sert, d'écrire ?

Ça sert à quoi, d'écrire ?

Bizarrement, ce n'est pas le genre de question que l'on se pose forcément lorsque l'on aime écrire... Pourtant, si l'on regarde les choses en face, il s'agit peut-être bien de la question qui revient le plus souvent parmi tous ceux qui ont le malheur de connaître ou fréquenter un écrivain : "Mais en fait, ça lui sert à quoi, d'écrire ?!"

Il y a un petit côté marginal, chez l'écrivain. Au mieux, on le considère comme un doux rêveur plein de naïveté, qui ne fera jamais de mal à une mouche ; au pire, il est complètement à côté de la plaque, complètement déconnecté de la réalité et absolument inapte à la vie en société.

Il y a quelques temps, un autre écrivain (sans doute un peu psy dans une double vie) m'a poussé jusqu'à l'analyse : "Mais bordel, pourquoi tu écris ?" (La question était plus subtile, vous vous en doutez... Entre marginaux de la même espèce, la compassion est forcément au rendez-vous.)
C'est vrai, ça ! Écrire, ça demande beaucoup de travail et de motivation, la majorité des gens ne lisent pas, et comme je n'ai pas d'éditeur et que je suis obligé de tout faire moi-même, je me retrouve avec de moins en moins de temps pour vivre ma vraie vie !
Suis-je maso ?

La vérité, c'est que j'ai longtemps écrit sans savoir pourquoi. Est-ce qu'on demande aux femmes enceintes pourquoi elles ont des envies de fraises ? Eh bien voilà ! Vous avez votre réponse, il ne faut pas demander à un écrivain pourquoi il écrit !
En fait, c'est simple : j'écrivais parce que (attention, les lignes qui vont suivre vont donner une image très psychotique de l'écriture !) quelque chose existait en moi mais je ne savais pas encore quoi. Le fait d'écrire me permettait de le nourrir, de le développer afin de mieux l'identifier, et ainsi commencer à mieux "le" comprendre. Comprendre qu'il s'agissait surtout de la personne que j'étais au fond de moi. Pas celle que les autres voulaient que je sois (un bon copain, un bon collègue, un bon employé, un bon mari, un bon père, un bon fils, un bon citoyen qui paie correctement ses impôts, etc.) mais la personne que j'ai envie de devenir.

On vient tous au monde avec une énergie vitale à partager, à diffuser autour de soi, et aussi pour grandir au contact des autres.
En grandissant, malheureusement, la société nous oblige à choisir un rôle professionnel en particulier, qu'il nous faudra jouer parmi les autres. Souvent, ce rôle, on doit le choisir sans vraiment le connaître. Ceux qui ne nous veulent que du bien nous demandent juste de les écouter cinq minutes en mettant de côté nos idéaux faits d'amour et d'eau fraîche, et nous expliquent que peu importe le rôle, ce qui nous rendra heureux, c'est le fric qu'il nous rapportera !

Lorsque l'on écrit, on met de l'ordre en soi. On apprend à faire le tri entre les rêves qui sont les nôtres et les convictions qui sont celles des autres. On apprend à identifier ses émotions, à savoir faire la différence entre une colère qui exprime une frustration, et une autre qui cache de la tristesse. On apprend à se comprendre. À s'approprier un mode d'emploi de soi-même. À y voir plus clair dans ses idées. À voir aussi que souvent, rien n'est vraiment noir, et rien n'est vraiment blanc. Une infinité de nuances existent entre le fait d'avoir raison et le fait d'avoir tort. Tout cela n'est toujours qu'une affaire de point de vue. Une histoire de croyances, d'éducation, de parcours, de culture, de convictions personnelles qui ne sont finalement que des programmes qui nous ont été transmis par les autres. Pire encore, je me demande de plus en plus si la physique quantique n'est pas la clé de tous les problèmes : pourquoi ne pourrait-on pas à la fois avoir raison ET tort ?! 
On a des idées sur tout, quand on a vingt ans. On sait tout, on est sûr de tout, et on ne veut rien savoir. Dès le moment où l'on se met à écrire, par contre, une meilleure lucidité s'invite sur le papier : tout ce que l'on croit savoir n'est souvent qu'illusion, et on n'a pas d'autre choix que de réaliser cet effort d'accouchement pour en prendre véritablement conscience.
Alors pour les envies de fraises, vous voyez que finalement, on n'en était pas si loin !

Écrire a donc été une façon pour moi de mettre en lumière ces illusions. Les extirper des ténèbres qui étaient en moi. Sans l'écriture, aujourd'hui, je ne saurais probablement pas qui je suis, ce que je veux et ce que je ne veux pas.
Je serais certainement le bon maillon d'une chaîne qui ne m'appartient pas, le bon rouage d'un système auquel j'ai du mal à adhérer, le bon individu parmi une civilisation en plein naufrage, mais assurément, je ne serais pas moi.

Je ne suis pas en train de faire l'apologie de l'individualisme : c'est tout le contraire. Dans notre société, l'image de soi, la confiance en soi, l'affirmation de soi, bref, tout ce qui peut permettre de se différencier des autres, est fortement mis en avant. Le culte des égos n'est pas qu'une légende : il est l'essence même de toutes les réussites sociales, la base de tous les conseils qui vous aideront à acquérir le maximum de responsabilités dans le monde du travail.
Pourtant, bizarrement, plus on se rapproche avec authenticité de la personne que l'on est, et plus on se rapproche du genre humain dans son universalité. Là où justement, aucune hiérarchie n'a sa place !
Lorsque dans mes livres, je m'amuse à tomber le masque des rôles que la société me demande de jouer, je ne parle plus de mes failles à moi : je parle des failles que nous avons tous.
Je ne parle plus de mes erreurs à moi (mon nombril, tout le monde s'en fout et c'est bien normal, chacun a d'autres soucis que de se préoccuper de ceux des autres !), je ne parle plus de mes mensonges, de mes faiblesses, de mes doutes et de mes égarements, je parle de ce que nous nous efforçons tous de cacher aux yeux des autres.
Je parle de NOUS.

Alors à quoi ça me sert d'écrire ? Eh bien justement, écrire, ça me sert à faire tomber les masques de tout ce que l'on montre, pour parler de toute la lumière que l'on cache.
Écrire, ça me sert à rallumer une étincelle dans les cœurs froids, ça me sert à raviver un courant d'air qui ébouriffe les convictions. Ça me sert à réveiller les habitudes soumises et les conformismes naïfs. Ça me sert à arrêter l'humour qui se moque pour laisser émerger l'autodérision qui nous rassemble, prendre le temps de poser les questions toujours plus importantes que les réponses...

 
Écrire, ça me sert à partager cette vision du monde que j'ai : un monde en perdition, où tout repose sur le profit à tout prix, au détriment du bon sens, de l'écologie et des ressources humaines dans leur globalité. Ça me sert à crier ce que la société m'interdit de crier : à savoir que notre monde est un Titanic qui fonce tout droit vers l'iceberg ! Une société qui fabrique de plus en plus de gens malheureux alors que jamais dans l'histoire de l'humanité elle n'aura atteint un tel savoir technologique et fabriqué autant de machines destinées à nous rendre la vie plus facile.

J'écris pour résister à ma manière contre un naufrage que l'on m'oblige à subir sans me demander mon avis.
J'écris pour faire corps avec celles et ceux qui sont comme moi, pour que nous soyons de plus en plus nombreux, et pour que la place accordée aux créatifs soit plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Parce que :
1- À la base, nous sommes tous des créatifs (100% des enfants d'une cour d'école sont des créatifs en puissance)
2- Une société dans une impasse ne pourra trouver d'issue favorable que par l'intermédiaire de ses créatifs, ceux qui seront capables d'imaginer une autre façon de vivre mieux et ensemble.

Je suis un rêveur ? Un marginal ? Un idéaliste ? Un utopiste ?
Ou bien suis-je seulement un citoyen comme tout le monde qui n'essaie que de faire sa part du colibri ?