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05 Jun 2019

Rien n’est plus fondamental, dans la vie, que de découvrir qui l’on est

Chacun d’entre nous pourrait sans doute se résumer à une raison d’être : une sorte d’essence existentielle qui lui serait propre et qui suffirait sans doute à le définir en dehors des rôles qui lui sont imposés par ceux qui exercent une emprise sur lui. Prenez des tonnes de roses, et vous en tirerez quelques litres d’essence de rose. La rose a sa propre essence, singulière et suffisante, qui lui permet d’exprimer sa propre nature dans un environnement dans lequel elle pourra tout aussi bien faire figure de forme de vie totalement incongrue. Une rose ne cherche pas à manifester l’essence d’un baobab, d’un pissenlit, d’un rocher ou d’un escargot : elle est une rose, et n’a donc pas besoin de l’essence des autres pour exprimer sa véritable nature.

Les individus que nous sommes en société sont en revanche comme des parfums qui se construisent sur des essences multiples et parfois contradictoires, même lorsque certaines semblent nous laisser que de simples traces. Nous sommes tous le fruit de nos différents contacts avec les autres, qu’ils soient hostiles ou bienveillants, électriques ou charnels, impossibles ou miraculeux. Mais si l’essence fondamentale des individus que nous sommes était justement reléguée, à travers toutes nos peurs de ne pas être à la hauteur parmi les autres, à l’arrière plan de toutes ces influences inconscientes qui ne cessent de s’engouffrer en nous ? Si par ignorance de qui nous sommes, nous ne faisions que chercher à refléter l’essence plus ou moins erronée, plus ou moins frelatée, de celles et ceux que nous sommes amenés à côtoyer ? Si notre essence première avait été perdue ou déchue, au fur et à mesure des années, au fur et à mesure de notre parcours individuel ? Au fur et à mesure de nos petits renoncements à devenir qui nous sommes, pour mieux nous fondre dans la masse aveugle et informe de tout ce que nous ne sommes pas ?

 Je crois que rien n’est plus fondamental, dans la vie, que de découvrir qui l’on est. Combien y parviennent ? Combien ne renoncent jamais à cette terrible tâche que personne ne puisse nous épargner ?

Combien vivent leur existence entière sans être parvenus un seul instant à se rencontrer, après avoir fui sans cesse à travers leurs devoirs d’obéir à des maîtres immatures, égoïstes et inconscients ?

Combien courbent l’échine devant les responsabilités que la vie en communauté ne cesse d’exiger d’eux ?

Combien se vident de toute leur énergie à travers leurs combats contre les autres, à travers toutes leurs justifications à ne vouloir exister qu’en rébellion contre des modes de vie qui les éloignent jour après jour des rêves les plus précieux qui sommeillent en eux ?

Exister, n’est-ce pas plutôt chercher à trouver un sens vers une autre sérénité ? Un cheminement « pour » la paix, plutôt que « contre » des obstacles à une paix rendue impossible ?

[Extrait de Un sens à tout ça]